La Stèle de Cambron
Si vous allez vous promener dans le
Domaine de Cambron, qui abrite le parc animalier « Pairi Daiza », en
accédant au jardin situé devant les restes de l’ancienne église abbatiale, vous
ne manquerez pas de passer devant une grande pierre sculptée reprenant les noms
des abbés successifs, avec la date de leur décès et le lieu de leur
sépulture, dans le cloître ou dans la salle du chapitre ; en y regardant de
plus près, une inscription finira sans doute par attirer votre attention :
9 MARTII 1329 D. IVO DE LESSINES IN CAPITULO.
Transposée dans le calendrier
actuel, la date de sa mort se situe le 9 mars 1330.
Les historiens locaux qui se sont
penchés sur ce personnage n’ont pas vraiment étudié sa biographie ; ils se
sont contenté de recopier largement les notes de Clément Monnier, qui avait pu
consulter les archives privées de la famille du Val de Beaulieu, en rédigeant
une considérable monographie sur l’Abbaye de Cambron, publiée de 1876 à 1884.
En effet, les archives du monastère, qui avaient été transférées à cette époque
vers les Archives de l’Etat, à Mons, ont été détruites par le feu au début de
la seconde guerre mondiale. Un travail de compilation semblable avait été
réalisé par deux abbés de ce monastère, d’abord en 1642 par Dom Marcq Noël,
puis en 1673 par Dom Antoine Lewaitte. Le Professeur Jean-Philippe Lahouste a
pu consulter tous ces documents, ainsi que les archives sauvegardées à
l’Archevêché de Malines, dans le but de recueillir quelques éléments permettant
de retracer sa vie dans les grandes lignes.
On peut ainsi apprendre qu’Yves de
Lessines, né dans cette ville, était le quinzième abbé de Cambron ; il
était le fils de Sire Jean Desprez, et de son épouse, qui se prénommait Alix.
Il avait au moins deux sœurs, Catherine et Marie, dites « de
Pratis », c’est-à-dire Desprez en latin. La seconde deviendra abbesse du
Couvent de Groeninghe, à côté de Courtrai. C’est devant les murs de cet
établissement que se déroule la Bataille des Eperons d’Or, le 11 juillet 1302,
au cours de laquelle la plus grande partie de l’armée du Roi de France,
Philippe le Bel est massacrée par les troupes flamandes. Marie Despretz serait
morte le 17 décembre 1309.
Le fils du châtelain de Lessines et de Flobecq
Jean Desprez était le châtelain de
Lessines et de Flobecq, les fameuses « Terres de Débat » convoitées
par le Comtes de Flandres et leurs vassaux, les Seigneurs de Pamele et
d’Audenarde, mais aussi par les Comtes de Hainaut ; il représentait les
droits et intérêts de son seigneur, Jean de Pamele, Seigneur d’Audenarde, qui
mourra en 1294. Ce dernier ne le désigne-t-il pas comme un parent, dans acte de
1270 figurant dans le Cartulaire de l’Abbaye de Cambron (Cartarum
Portarii) ? Dès lors, le père d’Yves de Lessines n’aurait-il pas de
relations familiales avec Jean de Pamele, peut-être du côté maternel ou par sa
femme ? Il était lui-même issu de la branche cadette de la famille des
seigneurs de Quiévrain, dont sortiront les Seigneurs de Bois-de-Lessines,
tandis que les Seigneurs d’Audenarde s’étaient également implantés dans cette
localité en rachetant les biens du Chapitre Cathédral de Cambrai. Le Vieil
Rentier des Sires d’Audenarde en parle : « Jehans le castelain de
Lessines », tandis que le Cartulaire de l’Abbaye de Cambron indique qu’il
avait succédé à un certain « Bauduin », qui portait le même titre
depuis 1252, alors que la Seigneurie de Lessines et de Flobecq relevait du
douaire d’Alix du Rosoit, la veuve du Seigneur d’Audenarde. S’agirait-il du
grand-père d’Yves de Lessines ?
Les historiens locaux ont coutume de
situer la mort d’Alix du Rosoit en 1265 sur base d’un extrait de l’Obituaire de
Cambron parlant de « Aulain, Dame d’Audenarde et de Lessines. Toutefois,
Alix du Rosoit vit toujours lors de son voyage à Cambrain, le 9 janvier 1268
pour un litige avec le Chapitre Cathédral. S’agit-il de la mère d’Yves de
Lessines ?
Le moine, le prieur et l'abbé
Yves de Lessines entre dans les
ordres et reçoit son habit monastique le 22 juillet 1284, le jour de la fête de
Sainte Marie-Madelaine, après la mort de son père, alors qu’il est son seul
descendant mâle, auquel doivent revenir les biens et titres de la famille;
on pourrait comprendre qu’il n’avait guère envie de contracter mariage, mais
que, de son côté, son père s’opposait à sa vocation religieuse. Pour quelles
raisons ?
D’ailleurs, que fait-il avant de
devenir moine ? Le Vieil Rentier des Sires d’Audenarde parle d’un certain
« Yves, li maires de Lessines », qui possède des terres à
Bois-de-Lessines, à côté de champs appartenant à l’Hôpital de Lessines, fondé
par Alix de Rosoit à la mort de son époux, en 1242. Le Cartulaire de l’Abbaye
de Cambron, cite par ailleurs des hommes de fief du Seigneur d’Audenarde, dont
le même personnage : « Yvon le maieur de Lessines » (Cartulaire
de Woudeke et Rebais). Est-ce le même homme qui deviendra le quinzième
abbé du Monastère de Cambron ? Ou bien a-t-il étudié à l’Université de
Paris ? Ou encore, participait-il aux campagnes itinérantes menées par
Charles d'Anjou, frère du Roi de France, Saint Louis, qui comptait dans ses
rangs Robert de Béthune, le fils aîné du Comte de Flandre, Gui de
Dampierre ? Ainsi aurait-il parcouru la France, l'Italie, les Balkans, la
Hongrie, l’Empire Byzantin, la Terre Sainte et même le Nord de l'Égypte et la
Tunisie… Ou bien est-ce son père, Jehan Desprez de Quiévrain, qui participait à
toutes ces opérations militaires ?
Yves de Lessines avait pris les
fonctions de prieur en 1322 lorsqu’éclate l’affaire du sacrilège commis sur une
image de Notre-Dame par un juif converti, dont le parrain n’était autre que le
Comte de Hainaut, Guillaume d’Avesnes ; c’est sans doute à lui que les
témoins de la scène viennent raconter les faits ; après un classement sans
suite de l’affaire, sa culpabilité est établie le 8 avril 1326 par un duel
judiciaire sur la Place du Parc, à Mons, suite à l’intervention d’un certain
Jean Flamens ou Lefebvre, sans doute parce qu’il s’agissait d’un ferronnier
d’origine flamande ; habitant Estinnes, ce dernier a eu des visions
mariales qui le poussent à faire réparer l’outrage commis par Guillaume le
Juif. Un cas d’antisémitisme ? Quoiqu’il en soit, c’est le seul juif
signalé à Mons lors de premières vagues d’immigration consécutives à l’expulsion
des juifs de France par Philippe le Bel en 1306 : les comptes de la ville
en parlent en 1320 comme de "Willaumes le Crestien".
Yves de Lessines lance la
construction d’une chapelle « miraculeuse », qui sera achevée par son
successeur, où il y fait célébrer la messe en réparation de l’injure commise.
C’est le point de départ du pèlerinage de Notre-Dame de Cambron, qui assurera
la prospérité de l’abbaye. Il est cité en sa qualité de prieur dans différents
documents, dont des chirographes passés devant la Loi de Brugelette et devant
la Loi d’Isières et de Lanquesait, et un acte de donation, sous différentes
orthographes : « Yves », « Yvon » et « Ives
». Dans le Vieil Rentier des Sires d’Audenarde, on trouve une autre version de
ce prénom : « Yvain », également connu par le roman de
chevalerie écrit un siècle auparavant par Chrétien de Troyes.
La même année, l’Abbaye de Cambron
obtient l’autorisation de célébrer la messe à haute voix, mais portes fermées,
alors qu’un interdit général frappe le Royaume de France. Notre homme n’a-t-il
pas le bras long ?
Un historien de l’époque, Guillelmus
Procurator rapporte avec fidélité, quelques années seulement après les
événements, le récit contenu dans une lettre écrite le 27 mai 1327, par Nicolas
Delhove, Abbé de Cambron à partir de 1322 : il prie tous les évêques et les
prélats de bien vouloir accorder des indulgences aux personnes qui visiteront
la chapelle de la Vierge dans son monastère. En sa qualité de prieur, Yves de
Lessines n’était-il pas le rédacteur, sinon l’instigateur de cette démarche ?
Yves de Lessines est élu comme abbé
après la mort de son prédécesseur, le 30 avril 1328. C’est à l’occasion de son
investiture qu’il prend son nom d’ordre tiré de son lieu de naissance,
conformément à un usage établi par ses prédécesseurs, et qu’il se choisit,
comme armoiries de fonction, le blason qui sera accordé à la Ville de Lessines
le 3 juillet 1839 : de gueules à trois trangles d’or, une clef
d'argent posée en pal brochant sur le tout, qui se retrouve dans l’armorial des
abbés de Cambron. Ne peut-on pas considérer que le maïeur et les échevins se
sont inspirés pour adopter, vers la fin du 15ème siècle, leur propre sceau, du
blason de cet illustre personnage ? En effet, la documentation héraldique
montre qu’Yves de Lessines est le tout premier à utiliser la clé d’argent symbolique
de Saint Pierre, patron de la Ville de Lessines, placée « en pal »
sur les couleurs de la Famille d’Audenarde, qui portaient un écu fascé de
gueules et d’or à six pièces. Son père leur était, d’ailleurs, apparenté :
« Jehans, cui on appele Parentes, ki apries celui Bauduin fu et encore est
castelains de Lessines » (Cartarum Portarii de l’Abbaye de Cambron).
Après son
élection, Yves de Lessines apparaît en
qualité d’abbé dans plusieurs documents, en août et en décembre. On sait qu’il
est déjà fort âgé quand il accède à la prélature ; il est réputé avoir
gouverné la communauté monastique fort louablement le peu qu’il vécut encore et
avoir augmenté les revenus de l’abbaye de manière appréciable.
Sa sœur, Marie avait donné à un
prédécesseur Jacques de Montignies, des prairies et six bonniers de terres
labourables ; devenu abbé à son tour, il rend ces biens à ses sœurs, qui les
remettent finalement à sa disposition à la demande de Marie, pour être
employées à la construction d’une chapelle en l’honneur de la Vierge, où ils
instituèrent une messe pour le repos de leurs père et mère.
Peu après sa mort, une bulle papale du
22 mars 1330 accorde 100 jours d’indulgence pour les pèlerins qui se rendent à
l’Abbaye de Cambron. Yves de Lessines n’avait-il pas des relations familiales à la cour française, permettant d’appuyer ses prétentions auprès de la curie romaine ?
Par référence au Pape Celestin V,
mort le 19 mai 1296 à l’âge de 81 ans, on pourrait situer la naissance d’Yves
de Lessines dans les alentours de 1250.
Les recherches philologiques de Rudy Cambier
Un philologue wodecquois, Rudy Cambier, lui attribue la rédaction d’un
texte composé de 10 centuries comprenant chacune 100 quatrains composés de vers
décasyllabiques écrits en rimes croisées, publié à partir de 1555 sous le nom
de Michel Nostradamus et sous le titre de prophéties. Dès lors, il s’agirait
d’un monument exceptionnel de la langue et de la culture picarde.
L’ASBL IVO DE LESSINIS organise chaque année un cycle de séminaires dans
les locaux du Centre Culturel René Magritte (Lessines), pour comparer le style
de ces deux auteurs, identifier dans le texte les éléments permettant de
restituer cette œuvre à son véritable auteur, décrypter les faits historiques
évoqués, repérer les nombreux toponymes signalés et relever les indices
permettant de résoudre une énigme ancienne : les derniers chemins
parcourus par les Templiers pour sauvegarder leurs biens les plus précieux (principalement
des documents d’archives et des reliques), juste avant leur arrestation massive
le vendredi 13 octobre 1307 sur l’ordre du Roi de France, Philippe le Bel, ainsi
que la localisation de ce trésor de sauvegarde, sur le site du Blanc Scourchet, situé entre le Hameau de la Pierre, traversé par l'ancienne chaussée romaine partant de Bavay, et le Hameau du Pré...
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